Samedi 22 avril : Viñales – Pinar del Rio Comme Jamal Lazaar nous l’avait prédit le décalage horaire nous réveille à 4h30 du matin, frigorifiés par la clim. On ouvre la fenêtre pour se réchauffer à la température extérieure, on bouquine, on potasse le programme à venir et le guide du petit futé, j’écris le résumé d’hier et l’on remet un peu d’ordre dans nos valises avant de rejoindre la salle de restaurant à 7h. Premier petit-déjeuner guère inoubliable où les beignets sont cartonneux et le thé froid mais les fruits exotiques (ananas, mangue, papaye, goyave, banane) font passer le reste. De jour le cadre de la marina est splendide : de paisibles bras d’eau où sont amarrés des yachts de luxe, des palmiers partout, la piscine géante (que je regrette déjà de ne pas avoir testée hier) et, au fond, les vagues de l’Atlantique qui viennent s’écraser sur les rochers de la digue et les éclaboussant d’écume blanche. La chaleur est moite et le ciel, bien bleu au réveil est hélas en train de virer au gris. A 8h10, tous les bagages redescendus et chargés nous embarquons dans le car conduit par Pichi (nous apprendrons ultérieurement que son vrai prénom est Sylvio). Nous nous dirigeons ce matin vers la province de Pinar de Rio, la plus à l’ouest de Cuba, où sont cultivés les meilleurs plants de tabac noir du monde. L’autoroute quasiment déserte et sur laquelle, outre les cars de touristes et les rares véhicules particuliers, circulent aussi les vélos, les carrioles tractées par des chevaux ou des ânes, et les chars à bœufs, passe tout d’abord par la province d’Artemisa. Elle est parfois traversée nonchalamment par des vaches nullement effrayées. Nous croisons un vaste lac artificiel qui sert de base d’entraînement pour tous les sports nautiques nationaux dans lesquels Cuba s’illustre tant aux jeux olympiques qu’aux championnats d’Amérique du sud. Dans la campagne pelée qui s’étend en bord de mer on remarque des maisons pauvres et souvent délabrées dont les peintures de couleurs vives s’écaillent et aux façades desquelles pendent des fils électriques. Dans les champs broutent des vaches ou des chevaux très maigres. 4 Yudel entreprend de nous détailler la géographie de Cuba. Située à l’entrée du golfe du Mexique et bordée par l’océan Atlantique au nord et par la mer des Caraïbes au sud c’est le plus grand archipel des Antilles. Couvrant 110922 km² et peuplée de 11,2 millions d’habitants, elle comprend, outre l’île principale Cuba et l’île secondaire de la Juventud, plus de 4000 petites îles : « los Cayos ». Ces îles sont classées en quatre groupes insulaires : los Colorados et los jardines del Rey au Nord, los Canarreos et los jardines de la Reina au Sud. Cuba est découpée en trois grandes régions : Oriente, Centro et Occidente, on compte cinq provinces par région (soit 15 en tout) et chaque province est divisée en plusieurs municipalités. Les principales provinces sont : – Pour la région Est : las Tunas, Holguin et Santiago, – Pour la région Centre : Cienfuegos, Sancti Spiritus, Camagüey et Villa Clara, – Pour la région Ouest : la Habana, Pinar del Rio et Artemisa. La longueur de l’île de Cuba est de 1250 km d’Est en Ouest, et de 210 Km du Nord au Sud dans sa partie la plus large, pour seulement 31 km dans sa partie la plus étroite. En ce qui concerne le relief on trouve : – à l’ouest le massif du Guaniguanico (on peine à le mémoriser et Yudel nous interrogera souvent par la suite à son sujet) composé de la Sierra del Rosario et de la Sierra de Los Organos dont le principal sommet, el Pan de Guajaibon culmine à 699 mètres d’altitude. – Au centre le massif de Guamuhaya qui s’étend sur trois provinces (Cienfuegos, Villa Clara et Sancti Spiritus) et est dominé par la Sierra del Escambray et son sommet de 1140 mètres, el Pico San Juan. – A l’est la Sierra Maestra occupant les provinces de Granma et de Santiago et possédant le plus haut sommet de Cuba, el Pico Turquino de 1974 mètres. Et entre ces reliefs s’étendent de vastes plaines dévolues à l’agriculture. Le climat est un climat tropical humide avec une saison sèche de novembre à avril et une saison humide da mai à octobre, avec une période d’ouragans violents entre septembre et octobre. Les Cubains sont très organisés pour affronter ces cataclysmes et le gouvernement organise chaque année des évacuations préventives des personnes et des animaux dans les zones exposées, mais malgré cela les dégâts matériels sont toujours importants. Lors du dernier ouragan en septembre 2016 toute la végétation (essentiellement des cocotiers et des plantations de cacao) autour de la ville de Baracoa, à la pointe Est, a été anéantie. Nous traversons la province fertile d’Artemisa dévolue à l’agriculture (plantations de bananes, de mangue, de canne à sucre, de tabac…) et à l’élevage. Chaque ferme possède son propre château d’eau. Comme nous remarquons partout des groupes de gens qui attendent, massés au bord de la route, Yudel aborde le délicat problème des transports à Cuba. Officiellement chaque 5 province possède un aéroport, une gare et une gare routière mais qui demeurent le plus souvent déserts faute de véhicules en nombre suffisant. La guagua (surnom familier donné au bus et que nous utiliserons désormais pour notre confortable car de touristes) passe de façon très aléatoire et n’affiche aucun horaire. Quant au train, c’est encore pire, le réseau est très vétuste et les vieilles locomotives Russes souvent en panne ; Il est surnommé ici « le train du mariage » car on dispose d’un temps infini pour approfondir une relation pendant l’interminable durée du trajet. Yudel nous raconte que lorsqu’il était étudiant à la Havane il a mis 23 heures montre North en main pour regagner Santa Clara où il passait ses vacances. C’est la France qui a décroché le marché du futur train voulu par Raul Castro, espérons pour eux qu’il sera plus fiable ; mais aucune échéance n’est encore connue à ce jour. Pour pallier à cette carence le gouvernement a instauré une obligation à tous les véhicules des fonctionnaires (et une majorité de Cubains le sont) de s’arrêter pour prendre des passagers. Des « amarillos » porteurs de gilets jaunes veillent au respect de cette règle et, en cas de refus, le conducteur s’expose à une suspension de trois mois de son permis. Mais la nécessité à développé une grande solidarité et tous les moyens de transports imaginables (bus, charrettes, vieilles américaines, deux-roues…) s’arrêtent spontanément pour prendre ou déposer des passagers. Il n’y a que les cars de touristes qui soient exemptés de cette obligation pour des raisons de sécurité (Cuba soigne particulièrement ses touristes qui sont une manne pour leur économie). On ne croise donc jamais de véhicule à moitié plein et les auto-stoppeurs sont des centaines à arpenter les bords des routes, avec parfois un cuc à la main pour être plus incitatifs. Yudel conclut donc, en reconnaissant que le développement des transports est un enjeu majeur pour envisager un essor de l’économie cubaine dans le futur. Aujourd’hui le salaire moyen est de 300 pesos par mois (soit l’équivalent de 12 €) somme insuffisante pour vivre et qui oblige les cubains à beaucoup de débrouillardise et de solidarité entre eux ; ils sont les champions du système « D ». Malgré cela Cuba est l’un des pays les plus sûrs du monde qui ne déplore quasiment pas de délinquance grâce à une surveillance et à une répression sévères. Alors que nous découvrons alentour de nombreux palmiers, curieusement ventrus au milieu de leur tronc, Yudel nous révèle qu’il pousse à Cuba plus de 200 variétés de palmiers dont 50% sont endémiques et que le palmier royal, très répandu, est l’emblème du pays. Celui-ci appelé palma barrigona (comme une femme enceinte) est originaire de Pinar del Rio. Nous faisons une halte au centre touristique las Barrigones où une longue allée recouverte de feuilles de palme nous abrite de la pluie diluvienne pour accéder à la buvette, aux « baños » (toilettes) et aux deux boutiques de souvenirs. Ainsi protégés de l’averse tropicale on peut admirer des champs de palmiers barrigonas tout autour ainsi que quelques fermettes colorées. C’est le matériau le plus utilisé dans la région ; les planches des murs, les 6 charpentes, les toitures avec le feuillage, les piliers des terrasses, et même les pots de fleurs creusés dans des troncs…tout provient du palmier. Nous reprenons la route et voyons, à travers le rideau de pluie, quantité de modestes maisons en bardeaux de bois, entourées de petites terrasses couvertes, d’aspect très pauvre, parfois de simples masures. Yudel nous diffuse dans le car un film sur la culture du tabac et la confection des fameux cigares de réputation internationale : Cohibas, Monte Cristo, Romeo y Julietta, Partagas… On y apprend les termes professionnels : la cape, la sous-cape, la tripe…, et aussi que la bague en papier fut d’abord instaurée pour protéger le cigare des doigts sales et fixer la limite des 2/3 à fumer. Yudel nous explique également que la Cohiba était un instrument ancestral indien en forme de Y permettant de fumer par les narines ; son usage rituel était réservé aux chefs de tribus. Nous arrivons en vue de Viñales, une ville de 28000 habitants (dont 8000 intra-muros), classée au patrimoine mondial de l’Unesco comme la plus ancienne implantation humaine sur l’île. Elle est nichée dans une vallée d’effondrement karstique cernée de collines rondes appelées « Mogotes » truffées de multiples cavernes prisées des spéléologues. On y pratique encore des méthodes d’agriculture ancestrales et les habitants sont très attachés au respect de l’équilibre entre l’homme et la nature. Le palmier est, là encore, omniprésent, tant pour la construction des maisons « bohios » que pour l’alimentation des cochons avec leurs fruits. Le car grimpe jusqu’au belvédère de los Jazmines (jasmin) d’où l’on embrasse un somptueux panorama à 360° sur les mamelons des « mogotes » de la Sierra del Rosario et de los Organos. Les falaises ocre tapissées de cèdres et la mosaïque de terres rouges et vertes (plantations de tabac) séparées par des rideaux de palmiers, composent un merveilleux tableau de verdure exhalant une douce odeur de terre mouillée. Sur la grande esplanade du belvédère poussent des frangipaniers aux racines tentaculaires qui déploient leurs rhizomes aériens comme de longues chevelures. Derrière une estrade couverte qui propose quelques tee-shirts se prélasse un vieux zébu aux cornes impressionnantes, sellé tel un cheval. Personne n’essaie de monter dessus. En revanche certains ont déjà dégoté une buvette pour déguster une piñacolada. On rejoint, dans la vallée en contrebas, la casa del Veguero, une plantation de tabac qui possède un magnifique séchoir tout entier recouvert de feuilles de palme. Sous la haute charpente se superposent plusieurs niveaux de poutres auxquelles sont pendus des bouquets de feuilles de tabac. L’odeur dégagée est boisée et agréable. 7 Un ouvrier nous montre les trois qualités de feuilles utilisées pour la confection d’un cigare (pour la tripe, la sous-cape et la cape) et nous fait, avec dextérité, une démonstration de roulage sur une petite planchette. Ensuite il nous propose une dégustation et les amateurs (Odile, Gilbert, Pat et J.D. en tête) se portent volontaires. On les allume à l’aide de longues bandes d’écorce de cèdre. Il parait que la fumée ne doit pas être expirée par le nez et qu’elle est très douce et pas âcre comme je le pensais. Odile me propose d’essayer mais je ne suis pas vraiment emballée. Les plus convaincus achèteront des petits ballots de 10 cigares enroulés dans une écorce de cèdre. Puis on se hisse sur trois charrettes tractées par des bœufs faméliques pour une balade d’une demi heure assez pittoresque qui débute sur un chemin de terre chaotique pour continuer sur la route heureusement peu fréquentée. J.D. et Catherine, un peu handicapés préfèrent ne pas tenter l’expérience. Nous sommes doublés par quelques belles voitures américaines ou des attelages de chevaux plus rapides. Des touristes s’arrêtent amusés pour prendre en photo notre équipage anachronique. Les pauvres bœufs peinent dans les montées et le cocher buriné sous son chapeau de cow-boy les stimule de la voix et de sa longue pique. On a la chance de n’être arrosés que d’une petite pluie fine mais aussitôt remontés dans le car le déluge reprend de plus belle. Non loin de là nous nous arrêtons pour déjeuner au restaurant familial « la Carretera » où les deux longues tables qui nous sont réservées ne peuvent nous accueillir tous. Les derniers arrivés doivent attendre debout qu’une autre table se libère. Protégés des intempéries par la haute charpente de palme on jouit d’une belle vue sur la vallée. Au menu, crudités, viandes et poissons grillés et au dessert on tente le flan de calabassa (courge). Surprenant et pas mauvais. Pour rejoindre le centre de Viñales nous passons devant « el mural de la prehistoria », une immense fresque jaune, verte et bleue un peu naïve réalisée à même la falaise en 1959 (et restaurée en 1980) par Leovigildo Gonzalez, un élève du peintre mexicain Diego Rivera. On y distingue pêle-mêle des dinosaures, un couple avec un enfant, des escargots… 8 Notre promenade à pieds dans Viñales sur les trottoirs défoncés (dont sont exemptés J.D et Catherine) commence sous le soleil. On longe des petites maisons polychromes toutes semblables qui proposent toutes des chambres à louer. Tout à coup, alors que Yudel nous pose une colle sur un arbuste dont les inflorescences colorées que l’on prenait pour des fleurs sont en réalité des feuilles, une douche tropicale torrentielle s’abat sur nous. On court se réfugier sous la terrasse couverte d’un coiffeur accueillant et nous allons être contraints d’y demeurer une bonne demi-heure à regarder passer les voitures qui soulèvent d’énormes gerbes d’eau. Heureusement un petit muret nous protège plus ou moins des éclaboussures. Les caniveaux débordent et la rue en pente est transformée en rivière tumultueuse. Quand l’accalmie arrive enfin on avise un petit marché local où l’on achète quelques objets d’artisanat : des colibris en bois exotique, un coupe-cigare, une boite en différentes teintes de bois dont l’ouverture est un casse-tête, un collier….puis l’on remonte la rue principale jusqu’à l’église lorsqu’une nouvelle averse survient. On se replie cette fois à la terrasse d’un bistro où quelques uns de nos amis sont déjà attablés devant un mojito. Nous y passerons l’heure suivante à l’abri en écoutant un groupe talentueux composé de deux guitaristes (dont un petit vieux édenté et sans âge mais n’ayant rien perdu de sa dextérité), un percussionniste (petit rondouillard jovial), un contrebassiste très séduisant au sourire ultra-brite et un chanteur de charme, maracas en mains, qui m’invite à esquisser avec lui quelques pas de salsa chaloupée. Je me sens très gauche. A 18 heures, comme convenu avec Yudel, on retourne en courant à la guagua que l’on atteint trempés jusqu’aux os. On enfile des pulls pour ne pas attraper froid avec la climatisation. Nous rejoignons, non loin de Vinales, la Finca del Paradisio, un restaurant installé au cœur d’une ferme de perma-culture sur un plateau qui bénéficie d’un panorama imprenable sur la Sierra et ses Mogotes. Pour l’instant on ne voit rien car toute la vallée est recouverte d’une brume épaisse et la terrasse panoramique qui nous accueille a abaissé ses bâches latérales pour nous préserver de la pluie. Un peu déçus on se requinque avec un cocktail local « antistress » (délicieux, j’aurais dû noter la recette) et un repas traditionnel cubain pantagruélique. Au fil du repas le brouillard se lève, les serveurs relèvent les bâches et l’on peut admirer depuis notre table un paysage grandiose qui mérite son qualificatif de « paradisiaque ». Après avoir pris le temps, au dessert, de souhaiter un bon anniversaire à Colette qui souffle l’unique bougie plantée dans sa crème caramel, on assiste au coucher du soleil sur les reliefs arrondis, sur les tapis verts des forêts de cèdres et des champs de tabacs, et sur les petites parcelles en restanques soigneusement entretenues de la ferme. On immortalise l’instant par une photo de groupe entre les plates-bandes cultivées. 9 Il nous reste ensuite une heure de route en car, durant laquelle nous somnolons faute de paysage à admirer, jusqu’à Pinar del Rio. Sur le pas de la porte de notre hôtel Vuelta Bajo nous attend un jeune couple de Cubains, amis de Frédérique, une collègue de Pat restée à Colombes, qui nous a chargé de leur apporter quelques cadeaux. On s’acquitte de notre mission et passons quelques minutes en leur compagnie. Ils sont charmants mais l’obstacle linguistique limite vite la conversation. L’hôtel est un majestueux palace datant de 1920, aux très hauts plafonds moulurés, avec une décoration art-déco (bar de réception en palissandre, vitraux Lalique, vases, marqueterie) fort bien conservée. Mais en revanche l’isolation laisse à désirer car on entend les conversations dans la chambre voisine (on reconnait même distinctement les voix) et les sommiers grincent.